Peggy OTTINGER – thérapeute – psychogénéalogiste – accompagnante périnatale – formatrice

Voyage en Mère – le voyage de Sandra

(Tous les prénoms et autres détails de ce récit sont fictifs. S’ils devaient s’avérer correspondre à une réalité personnelle, cette coïncidence est fortuite.)

Il était une fois le voyage de Sandra, jeune maman qui arrive au cabinet comme une souris discrète, mais avec un regard franc et direct qui me touche. Elle évoque sa solitude dans sa famille, l’absence de liens qui l’interroge et la malmène. Elle répète ne pas comprendre, ne pas accepter mais devoir se résigner à tant d’indifférence et tant de différences entre elle et ses parents, entre elle et ses frères et sœurs dont elle est l’aînée. Elle ne s’explique pas pourquoi les relations sont si distantes avec elle, alors qu’elles ne semblent pas l’être entre les autres membres de la famille.

Maman d’une petite Chloé de 16 mois, elle est par ailleurs épuisée de trop de nuits sans sommeil. Sa petite n’accepte pas les séparations, se réveille à la moindre tentative pour la déposer dans son lit ; le papa s’épuise, lui aussi, à essayer de seconder sa femme en prenant le relais pour des heures blanches avec ce bébé-kangourou qui réclame sa maman à toute force de hurlements … situation inextricable qui vient depuis peu se doubler du souci supplémentaire d’un poids de bébé qui stagne. Inquiets, les parents ont pris rendez-vous auprès de spécialistes sur les conseils de leur médecin, avec les délais inhérents à ce type de rendez-vous toujours bien trop loin pour des parents inquiets.

Quand je demande à Sandra si les problématiques de poids ou d’alimentation lui parlent d’une autre histoire que celle de sa petite, elle m’expose immédiatement ses yoyos émotionnels avec la nourriture. Depuis quand ? « je ne sais pas. Depuis toujours. Ma mère m’a toujours dit qu’à environ 1 an / 1 an et demi, j’avais restreint mon alimentation aux yaourts et au pain ; par la suite à l’adolescence, j’ai frôlé l’anorexie sans que personne ne s’en soucie véritablement. J’ai bataillé seule avec la nourriture. Et en quittant le foyer familial à 18 ans, j’ai basculé dans la boulimie. Le parcours a vraiment été long, mais je l’ai mené toute seule. Tout s’est stabilisé lorsque j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari ; il est un pâtissier hors-paire ! », me dit-elle avec le sourire.

Mise en alerte par les antécédents que Sandra expose en séance, je propose que nous établissions une ligne chronologique depuis sa naissance à elle, pour mieux comprendre ce qui se joue en ce moment avec Chloé.

Première née du couple de ses parents, Sandra a été un bébé attendue et d’un joli poids à sa naissance, puis allaitée pendant 6 mois. Sa maman apprend alors la maladie incurable et honteuse de son jeune frère âgé de 20 ans, qu’elle a élevé comme un fils. De 14 ans son aînée, elle avait un rapport très maternel avec lui, qui était alors promu à une très belle carrière … dans la pâtisserie. A l’époque, ils choisissent ensemble de taire la maladie à leurs parents (donc aux grands-parents maternels de Sandra). La maladie doit rester secrète ; ils en géreront ensemble l’évolution jusqu’à la fin annoncée !

Cette évolution dramatiquement sans surprise requiert toute la motivation de cette jeune mère pendant de longs mois ; elle sait pertinemment qu’elle perdra bientôt son frère comme on perd un enfant. Lorsque le décès arrive, Sandra a 15 mois et sa maman fait une dépression sévère … le bébé-Sandra cesse de diversifier son alimentation … et 32 ans plus tard, au même âge, sa petite Chloé cessera de prendre du poids.

Comment ne pas comprendre la restriction alimentaire du bébé-Sandra comme l’écho d’une restriction d’alimentation émotionnelle ? Comment imaginer que sa maman ait pu lui conserver l’entièreté de son énergie, alors qu’elle se battait contre la mort de son frère-enfant ? Personne, certainement, n’a expliqué au bébé-Sandra combien sa maman allait mal. Un tel deuil, dans un tel secret ! C’est si poignant en séance, de sentir la pièce envahie du sentiment d’abandon de ce bébé-Sandra. Un total désarroi, qui se lit au présent sur le visage de Sandra, comme revenu à la surface. Poupée gigogne émotionnelle toujours bien vivante dans l’adulte, ce bébé-Sandra occupe tout l’espace quelques instants pour se faire reconnaître dans sa souffrance.

Il n’y a alors rien d’autre « à faire » que d’emmener l’adulte-Sandra consoler et réinformer cette part d’elle-même en hypnose. L’informer du deuil et de la dépression que traverse sa mère, l’informer du secret qui entoure la nature de la maladie mortelle de son oncle, en mémoire duquel elle rencontrera bien plus tard ‘un pâtissier hors-paire’. L’informer qu’elle n’y est pour rien dans ce deuil que sa maman ne dépassera jamais vraiment, parce que le secret ne sera jamais révélé aux grands-parents. Ils n’auront jamais su de quoi est mort ce fils avec lequel ils avaient coupé les liens. Tant de relations interrompues, de liens rompus, abîmés dans le secret et le deuil gelé de ce jeune homme !

Je conseille à Sandra de parler de tout cela à sa petite Chloé, dans un moment de calme, sans grand sermon ; un partage de cœur à cœur pour lui parler de ce qui est son Histoire Familiale, mais pas son histoire de petite fille. Lui dire que tout cela est passé et que sa maman à elle, va bien désormais, puisqu’un pâtissier a su la nourrir de tout l’amour dont elle avait besoin !

Trois semaines plus tard, Sandra entre au cabinet avec un joli sourire prometteur … il y a des jours où ce travail d’accompagnement est d’une folle générosité (et il faut savoir en profiter sans retenue!) : Chloé s’est mise à manger de tout avec un plaisir évident, les repas sont devenus un vrai moment de partages et de découvertes pour elle et ses parents, et elle a grossi de 700 grammes !

Nous travaillons alors à la fusion entre maman et bébé, en explorant l’histoire de la lignée maternelle d’un point de vue de l’accueil du premier-né et de l’attachement mère-enfant. A ma demande, Sandra construit un génogramme imagé sur ce thème, jusqu’à son arrière grand-mère Anita.

Au-dessus du lien entre Sandra-bébé et sa mère, inexorablement mêlé au deuil gelé de cet oncle maternel, nous retrouvons la naissance prématurée de la première fille d’Anita : Catherine, qui deviendra la grand-mère adorée de Sandra. Cette enfant, née prématurément dans les années 1930, a été placée dans une boîte à chaussures avec du coton au coin de la cuisinière à bois par la sage-femme qui l’a crue morte-née. Anita, accouchée à la ferme, a donc cru sa fille morte à la naissance, jusqu’à ce que la sage-femme s’aperçoive que la peau du bébé avait rosi et qu’elle respirait sans avoir pleuré ! Catherine a été élevée par sa tante, la petite sœur d’Anita, car celle-ci « n’a pas voulu de sa fille », raconte le roman familial. Sandra me parle de sa grand-mère comme d’un ange sur Terre, femme au grand cœur et mamie en or.

Nous entamons une série de séances en photolangage pour laisser émerger cette matière transgénérationnelle ‘en creux’, ce traumatisme non-dépassé dans le Devenir-Mère de la lignée ; la carte choisie pour Anita montre un diablotin aux yeux remplacés par des flammes … un regard brûlant qui n’a rien d’un regard d’amour sur son enfant, selon Sandra. Il est donc question d’un regard qui n’a pas pu se poser sur l’enfant née trop tôt (et l’on sait le choc traumatique que peut être une naissance prématurée pour une mère !), et crue morte de surcroît. La carte choisie pour Catherine représente un sphinx au visage partiellement détruit, créature légendaire avec un corps de lion, un visage de femme et des ailes d’oiseau : magnifique et monstrueux à la fois. On comprend la cohérence du choix inconscient de ces deux cartes, porteuses de toute l’histoire impossible entre mère et enfant à cette génération de l’Arbre.

Encore en état de conscience modifiée lors de ce photolangage, Sandra fait seule le lien avec une pensée qu’elle a eue au premier regard posé sur Chloé lors de sa naissance : ‘je ne l’ai pas reconnue, je ne m’attendais pas à ce bébé qui ne me ressemblait pas du tout ; je ne l’ai pas trouvée jolie. » … confirmation de ce regard-fantôme qu’Anita n’a pas pu poser sur l’existence de son premier bébé, sans doute effrayante pour elle dans sa prématurité. Dans les années 1930, aucun service de réanimation néonatale, aucun accompagnement d’Anita qui accouche pour la première fois et trouve son bébé monstrueuse, si peu ressemblante à l’idée qu’elle se faisait de son premier enfant à naître !

Ces naissances et ces accouchements restés sans élaboration psychique à une génération donnée, constituent des traumas qui se répercutent sur plusieurs générations : impossibles liens entre mères et enfants première-nées, que Sandra commence à contextualiser à la lumière d’une Histoire Familiale plus vaste que le seul lien avec sa mère.

Je lui propose alors de représenter sur son Arbre les vides de liens qu’elle ressent ou imagine par une forme géométrique (elle choisit des triangles marrons) ; progressivement, au fil de nos séances, elle placera 9 triangles marrons, en descendant jusqu’aux liens entre elle et ses parents.

Puis, je lui propose de représenter autrement, la manière dont elle caractériserait le lien entre Chloé et elle (elle choisit un rond rose). Et quand je lui demande ce qu’elle éprouve en regardant cette représentation d’un peu plus loin, elle est très émue en répondant : « il va falloir qu’il soit sacrément fort, ce petit rond rose avec tous ces triangles marrons au-dessus de lui ! ». Moment précieux et suspendu dans lequel il est préférable de se taire.